Il y a deux ans, la mission japonaise Hayabusa2 a effectué une expérience d'impact sur la surface de l'astéroïde Ryugu, qui a donné lieu à un cratère d'une taille inattendue. Pour la première fois, une équipe internationale incluant des chercheurs de l’Université Côte d’Azur, Observatoire de la Côte d’Azur, CNRS, Laboratoire Lagrange a simulé intégralement un impact et la formation du cratère en résultant sur un astéroïde, reproduisant le cratère produit par cette expérience sur Ryugu . Ces simulations ont des implications sur l’âge de surface de l’astéroïde, sur ses propriétés matérielles, ainsi que sur la formation et l'évolution des petits astéroïdes en général. Ces simulations sont maintenant appliquées à l’impact de la sonde DART de la NASA sur le petit astéroïde Dimorphos afin de soutenir l’interprétation des données de la sonde Hera de l’Agence Spatiale Européenne qui mesurera en détail le résultat de l’impact et les propriétés de Dimorphos.
La sonde spatiale Hayabusa2 a rendu visite à l'astéroïde Ryugu en 2018-2019, a effectué une expérience d’impact à haute vitesse sur sa surface et a ramené sur Terre 5,4 grammes d’échantillons de cet astéroïde en décembre 2020 qui sont actuellement étudiés dans les laboratoires terrestres.
Dans une étude publiée dans Nature Communications le 30 novembre 2022, une équipe à laquelle participe des chercheurs du CNRS au laboratoire Lagrange de l’Observatoire de la Côte d’Azur a présenté des nouveaux résultats sur le processus d’impact sur les astéroïdes et leurs conséquences sur notre compréhension de l’âge de leur surface, leur structure et leurs évolutions.
Des lois d'échelle sur le développement des cratères permettent de revoir fortement à la baisse l’âge des astéroïdes
La mission spatiale Hayabusa2 a tiré un projectile de 2 kg à 2 km/s sur la surface de l'astéroïde Ryugu, offrant la première expérience d’impact à l’échelle d’un tel objet. « Le cratère créé par l'impact était beaucoup plus grand que prévu. Cela représentait un nouveau défi, et surtout cela nous offrait la possibilité de valider nos simulations d’impact à l’échelle d’un astéroïde, inaccessible en laboratoire », explique Patrick Michel, co-auteur de l’étude.
Image de l’astéroïde Ryugu (900 m de diamètre) par la caméra ONC de la sonde Hayabusa2 (JAXA)
prise le 30 Juin 2018.
La nature et la taille d'un cratère d'impact sur un astéroïde sont influencées par différents facteurs. D'une part, les caractéristiques spécifiques du projectile et, d'autre part, les caractéristiques de l'astéroïde - sa force ou sa gravité, par exemple. La taille et la nature du cratère résultant de l'impact peuvent conduire ainsi à un diagnostic direct des caractéristiques des matériaux et de la structure proche de la surface de l'astéroïde. L'étude du processus de formation des cratères a donc des implications importantes pour la compréhension du développement géologique et géophysique des astéroïdes, liée à celle de l’histoire de notre Système Solaire.
« Jusqu'à présent, la manière dont la formation des cratères fonctionne à faible gravité est restée largement inexplorée. Cela est dû au fait que les conditions de l'impact ne peuvent être simulées dans des expériences de laboratoire sur Terre », explique Patrick Michel. Les chercheurs ont donc développé deux nouvelles approches pour simuler l’intégralité de la formation d’un cratère dû à un impact dans ces conditions, ce qui n’avait jamais été fait. Les simulations d’impact sont classiquement effectuées en utilisant des codes informatiques qui simulent la physique d’un choc dans un corps solide. « Avec de telles simulations, il n’est pas possible de simuler entièrement la formation d’un cratère sur un astéroïde de faible gravité. En effet, l'échelle de temps de la propagation de l’onde de choc dans l’astéroïde est très différente de celle de la formation du cratère ». Les chercheurs ont alors développé deux approches différentes, permettant de simuler intégralement le processus, en particulier les phases tardives de la formation du cratère, ce qui n’avait jamais été fait. La première approche repose intégralement sur un code numérique de physique du choc adapté pour étudier la sensibilité d’un impact à la cohésion de surface et à la présence d’inhomogénéité tels que des rochers solides sur une surface de faible gravité. La deuxième approche est une approche hybride, exploitant un code de physique du choc pour la première phase de propagation de l’onde de choc dans la surface et un code d’interaction de milieux granulaires, pour la deuxième phase lors de laquelle le cratère finit de se former par déformation lente et granulaire de la surface. Selon le contexte, l’une ou l’autre peut être utilisée, car elles présentent chacune des avantages et des inconvénients. « En utilisant ces deux approches, le résultat de l’expérience d’impact sur Ryugu est reproduit par simulation numérique de façon remarquable, ce qui offre une validation de ces nouvelles approches à la bonne échelle », explique Patrick Michel.
Images d’une simulation numérique d’impact sur la surface de l’astéroïde Ryugu et de formation d’un cratère (a-c), reproduisant le cratère produit par l’expérience d’impact d’Hayabusa2 sur Ryugu (panel d). L’évolution du cratère se termine après 1200 secondes. Les dimensions du cratère sont indiquées par la ligne pointillée orange pour les murs du cratère et la ligne pointillée noire pour le bord du cratère dans le panel c. Le résultat global en terme de taille du cratère et déplacement des roches (1,2,3,4) est bien reproduit. Le déplacement des plus grosses roches (3,4) est similaire à celui observé et les plus petites roches (A,2) sont éjectés en dehors du cratère, comme cela a été observé lors de l’expérience pour quelques petites roches (d’après la Fig. 2 de l’article).
Ces simulations montrent la grande efficacité de la formation d’un cratère dans l’environnement exploré de faible résistance mécanique de surface et de gravité. « Cependant, une toute petite variation de la cohésion de surface à une échelle bien inférieure à l’équivalent de la pression d’une feuille d’arbre sur une main peut tout changer », s’inquiète Patrick Michel. En effet, les surfaces des corps célestes sont datées en comptant la taille et la fréquence de leurs cratères, et en estimant le temps qu’il a fallu pour les accumuler, ce qui dépend intimement de la relation entre la taille d’un projectile et celle du cratère en résultant. Ces estimations de l'âge peuvent donc être très imprécises, en raison de l'incertitude de la réponse de l'astéroïde à un impact d'un autre corps céleste, compte tenu des propriétés inconnues des matériaux qui influencent la taille finale du cratère. L’utilisation d’une seule relation entre les caractéristiques d’un projectile et la taille du cratère déduite du résultat de l’expérience d’Hayabusa2 indique que les surfaces des petits astéroïdes doivent être très jeunes car les gros cratères peuvent être produits par des projectiles plus petits et plus abondants. Mais les choses ne sont peut-être pas aussi simples. Les nouvelles simulations montrent également que la présence d’une toute petite quantité de cohésion peut avoir un impact significatif sur la formation des cratères. Or, la cohésion n’est probablement pas distribuée de façon parfaitement homogène sur un petit corps. En fait, sur Ryugu, il y a diverses unités géologiques de surface qui ont des âges différents et ces simulations fournissent l’indice qu’elles ont peut-être simplement un niveau de cohésion différent. « Cette sensibilité à la cohésion que nos simulations révèlent rend complexe l’estimation de l’âge de surface d’un petit corps. Les surfaces de ces petits corps et les processus qu’ils subissent ne cessent de nous défier », s’enthousiasme Patrick Michel.
Des résultats importants pour les missions DART et Hera
Ces travaux sont égalements importants pour les missions DART de la NASA et Hera de l’ESA, à laquelle les scientifiques participent également, qui offrent le premier test complet de déviation d’un astéroïde. Le 26 septembre 2022, la sonde DART s'est écrasée sur l'astéroïde Dimorphos afin de le dévier de son orbite. Les chercheurs travaillent à l'application des simulations nouvellement développées à l’impact de DART afin de prédire les observations du résultat de celui-ci par Hera et de mieux comprendre les caractéristiques de Dimorphos qui seront mesurées par la sonde.
Cette étude a bénéficié du soutien financier du programme d’innovation et de recherche Horizon 2020 sous l’accord de financement No. 870377 (projet NEO-MAPP), du CNES du CNRS au travers des programmes interdisciplinaires MITI.
Référence
Jutzi, M., Raducan, S., Zhang, Y., Michel, P., Arakawa, M. 2022. Constraining surface properties of asteroid (162173) Ryugu from numerical simulations of Hayabusa2 mission impact experiment. Nature Communications 13, Article number: 7134.
Contact
Patrick Michel, directeur de recherche CNRS, Laboratoire Lagrange (Université Côte d’Azur, Observatoire de la Côte d’Azur, CNRS), Nice, France - Courriel : michelp@oca.eu