L’abondance des cratères sur la surface des corps célestes permet de fournir une estimation de l’âge de cette surface, sur la base du temps qu’il a fallu pour qu’elle les accumule. A partir de l’analyse détaillée des cratères reposant sur la surface de l’astéroïde Bennu, une étude à laquelle a participé un chercheur du laboratoire Lagrange (CNRS-Université Côte d'Azur-Observatoire de la Côte d'Azur) montre que cette surface est bien plus jeune (d’un facteur 15) que précédemment estimé. Pour cela, les auteurs ont poussé le réalisme du calcul de l’interaction d’un projectile avec la surface de Bennu, conduisant à une révision de la relation entre la taille d’un projectile à l’origine d’un cratère et la taille de celui-ci. Selon la relation utilisée, l’estimation de l’âge d’une surface peut ainsi varier de plusieurs ordres de grandeur. Par ailleurs, la différence entre l’âge de la surface et celui de l’astéroïde, bien plus ancien, indique que des processus de renouvellement de la surface sont actifs, la rendant apparemment plus jeune que l’astéroïde dans sa totalité. Ces résultats, paru dans Nature Geoscience le 7 avril 2022, qui soulignent l’incroyable richesse et activité géologique des petits astéroïdes, contribuent à reconstituer l’histoire complexe de l’astéroïde et les échelles de temps de son évolution depuis sa formation à partir de la destruction d’un plus gros corps dans la ceinture des astéroïdes entre Mars et Jupiter.
Tous les corps solides du Système Solaire sont exposés à des populations d’objets qui produisent des impacts sur leur surface. Dans le cas de l’astéroïde Bennu, dont la sonde de la NASA OSIRIS-REx a récolté avec succès des échantillons qui arriveront sur Terre en Septembre 2023, sa surface a été exposée aux astéroïdes qui résident dans sa région d’origine, la ceinture des astéroïdes, entre Mars et Jupiter, puis à ceux qui comme lui actuellement, croisent la trajectoire de la Terre.
L’estimation de l’âge d’une surface repose sur la mesure de l’abondance et des dimensions des cratères qu’elle contient. Une fois ces paramètres mesurés et sur la base de la connaissance de la distribution des tailles des projectiles auxquels une surface est exposée, le calcul de l’âge dépend de la relation entre la taille d’un projectile et la taille du cratère résultant de son impact. Cette relation, qui a une énorme influence sur l’estimation du temps qu’il a fallu pour accumuler les cratères de tailles données, repose sur notre compréhension de la physique de l’interaction entre un projectile et une surface.
Dans un article paru dans Nature Geoscience, les auteurs analysent la population des cratères sur Bennu et observent un déficit de petits cratères (de tailles inférieures à quelques mètres) par rapport à l’abondance attendue sur la base du grand nombre de petits projectiles auxquels l’astéroïde est soumis pendant son évolution, capables de produire des petits cratères. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce déficit, et les auteurs ont identifié celle qui domine dans le cas de Bennu. En fait, l’astéroïde est un agrégat dont la surface est entièrement peuplée de gros rochers, de cailloux et de graviers (voir Figure 1). Lorsqu’un projectile tape sur une roche de taille identique ou plus grande, celle-ci peut servir de bouclier. Cela empêche la formation d’un cratère ou réduit fortement la trace laissée par l’impact (voir Figure 2). Plus précisément, la mesure des dimensions de 1560 cratères et des roches de surface indique un changement de régime à des tailles de cratères de 2-3 mètres. Au-dessous de ce diamètre, la formation d’un cratère devient plus rare, car les roches de surface dominent et servent de bouclier.
Figure 1. A gauche : L’astéroïde Bennu dans sa totalité. A droite : une portion de la surface de Bennu montrant une abondance incroyable de roches de surface. © NASA, University of Arizona.
Figure 2. Exemples de petits cratères sur Bennu. Leur taille est de 4, 6 et 2,7 mètres environ de gauche à droite. L’échelle horizontale en bas à droite s’applique à toutes les images. Les flèches blanches montrent les contours du cratère. Contrairement aux grands cratères sur Bennu ou ceux sur les surfaces planétaires, ces cratères n’ont pas de bords distincts entourant une dépression. Ils sont plutôt entourés plus ou moins complètement d’un anneau de roches déplacées par l’impact. De plus, la taille des particules de surface est bien plus petite en moyenne dans le cratère qu’à l’extérieur. Les projectiles qui ont produit ces cratères ont tapé sur une roche de surface de taille équivalent à la leur, la cassant et empêchant ainsi la formation d’un cratère classique, voir empêchant la présence de toute trace. Ce processus de bouclier explique le déficit de petits cratères par rapport à celui attendu compte tenue de l’abondance des petits projectiles qui entrent en impact avec Bennu dans les populations d’astéroïdes. D’après Bierhaus et al. (2022). © NASA, Université d’Arizona.
Par ailleurs, l’interaction du mécanisme de récolte d’échantillon de la sonde OSIRIS-REx avec la surface de Bennu a montré que celle-ci a une cohésion quasi-nulle. Or, par rapport à une surface cohésive, sur une surface sans cohésion les calculs montrent qu’un plus grand cratère est produit par un projectile plus petit. Partant de ce constat, les chercheurs ont aussi revisité l’estimation des tailles des projectiles à l’origine des grands cratères. Les petits projectiles étant plus nombreux que les plus grands dans la population des astéroïdes, il faut donc moins de temps pour accumuler des grands cratères sur une surface de cohésion quasi-nulle comme celle de Bennu que sur une surface résistante. Les études précédentes, qui supposaient une relation entre la taille d’un projectile et la taille d’un cratère moins bien renseignée, donnaient un âge de surface de plusieurs centaines de millions d’années à 1 milliard d’année. En combinant les estimations de taux d’impact sur Bennu avec ces nouvelles considérations, l’équipe de chercheurs a réduit fortement l’âge estimé de la surface de Bennu par rapport aux estimations précédentes. Plus précisément, ils trouvent que l’âge de surface de Bennu (ou l’âge d’accumulation des cratères) est de l’ordre de 1.6–2.2 millions d’années pour les cratères plus petits que quelques mètres, et de l’ordre 10–65 millions d’années pour les cratères plus grands que 100 mètres. C’est l’une des surfaces les plus jeunes observées dans la Système Solaire.
Cette nouvelle étude conduit ainsi à un âge maximum de la surface de Bennu plus jeune d’un facteur 15 au moins par rapport aux estimations précédentes.. Cette différence énorme démontre de l’importance de la compréhension du processus d’impact pour estimer de manière fiable les âges de surface et élaborer des scénarios robustes de l’histoire des corps considérés. Cette compréhension est aussi essentielle pour nous protéger d’une collision d’un astéroïde avec la Terre en utilisant l’impact d’un projectile artificiel sur sa surface pour le dévier de sa trajectoire. L’efficacité de cette technique, qui va être testée pour la première fois avec les missions DART de la NASA et Hera de l’ESA, repose sur la bonne compréhension de l’effet de cet impact dans toute sa complexité à l'échelle des corps tels que les astéroïdes. Ces missions nous fourniront une expérience d’impact entièrement documentée à l’échelle réelle qui permettra de franchir encore un pas de géant dans cette compréhension, la capacité de modéliser ce processus et de dater les surfaces.
Cette nouvelle estimation de l’âge de la surface de Bennu ne s’explique qu’en partie par la relation plus réaliste entre la taille d’un cratère et celle d’un projectile utilisée par les chercheurs. En effet, elle est bien plus faible que l’âge estimé de l’astéroïde lui-même depuis sa formation dans la ceinture des astéroïdes, ce qui suggère qu’un processus de renouvellement de la surface est à l’œuvre. D’autres données de la sonde OSIRIS-REx indiquent effectivement que des mouvements de surface se sont récemment produits et se produisent régulièrement au cours de l’évolution de l’astéroïde, du fait des différents processus qu’il subit. Ainsi, la surface de Bennu est régulièrement renouvelée, ce qui efface les traces anciennes et la rend apparemment plus jeune que l’astéroïde lui-même. Autrement dit, la plupart des traces de surfaces actuelles nous renseignent sur le temps passé depuis le dernier renouvellement majeur. Cette chronologie de surface et la compréhension des processus qui y contribuent, en relation avec l’analyse des échantillons qui seront ramenés sur Terre, nous permettent ainsi de reconstruire plus précisément l’histoire complexe de l’astéroïde et de la situer dans l’histoire du Système Solaire.
Cette étude bénéficie du soutien financier du CNES et du contrat No 870377 du programme H2020 de l’Union Européenne (projet NEO-MAPP).
Référence
Crater population on asteroid (101955) Bennu indicates impact armouring and a young surface, Nature Geoscience, 7 avril 2022.
Contact
Patrick Michel, Directeur de Recherche au CNRS, michelp@oca.eu